Aujourd'hui sur le Tour de France les oreillettes étaient désactivées, pour retrouver un peu les conditions de courses d'il y a quelques années quand elles n'existaient pas encore. On aurait donc pu imaginer une réorganisation des coureurs, une re-socialisation, la gestion de l'interdépendance en direct entre coéquipiers. Avec un peu d'utopie on aurait même pu imaginer des négociations entre équipes. Il n'en a pas été ainsi et les instructions de la part du management sportif de chaque équipe ont du être toutes autres.
On peut constater que si on coupe la liaison directe entre le management et les opérationnels sportifs, qui représentent soit-disant un exemple d'investissement personnel, de la performance..., la consigne est à la frilosité. On se retrouve avec un fonctionnement féodal (néo-capitliste) habituel du "wait and see" dans lequel le "wait" l'emporte toujours sur le "see" et dans lequel l'innovation et la prise de risque sont les premières à ne plus recevoir aucun investissement. Cela s'explique dans la difficile mesure des négociations possibles entre sportifs, dans la richesse stratégique intrinsèque de la discipline, et par un certain manque de confiance dans la fluidité sociale: le manager est seul à avoir le droit de prendre des initiatives, et encore c'est mieux si celles-ci sont toujours procédurières (comme on a pu le voir dans quelques étapes précédentes déjà lourdes de l'inexistance de stratégie et de tactiques répétitives). En fait dans le sport aussi c'est d'abord le travail qui doit être déconstruit, surtout lorsque des contraintes financières prennent le pas sur la constitution d'un projet. On parlera alors de projet industriel pour dire qu'une productivité sans objet est un objectif, pour éviter d'accepter qu'une société industrielle se transforme nécessairement en société de consommation puis en société du spectacle, que le produit n'a de sens que dans sa consommation durable (et non sa production) et donc, dans un souci écologique, dans un usage le plus sémiotique possible.
La rhétorique de la performance, le spectacle comme aboutissement de l'investissement individuel sont donc des mensonges au service de l'aniénation du travail. Dès que les moyens d'aliénation sont contraints, dès que l'émancipation du travailleur pointe son nez, même seulement en théorie, comme dans cette étape du Tour de France, le spectacle est fusillé, l'objectif de performance est abandonné. Il y aurait eu plus à perdre à faire la course, à laisser les cyclistes faire le spectacle entre eux et peut-être même gagner de la visibilité médiatique pour leurs sponsors, qu'à être ridicule en escamotant l'épreuve sportive mais en sauvegardant les rapports de force professionnels à l'intérieur des équipes.
L'oreillette n'est pas la condition unique à l'établissement de ces rapports de force, mais elle les structure, elle rend matérielle la dépendance hiérarchique et coupe l'individu de son milieu écologique naturel en niant les différents rapports d'interdépendance. La révolution technologique ce n'est évidemment pas cette communication centralisée comme on essaye de nous la vendre mais des moyens de communication transverse entre coureurs, il serait temps de créer l'oreillette 2.0.